Expertises
Droit, technologies & prospectives

interview / Sylvie Gamet

Actifs immatériels : Une valeur encore trop sous-estimée

Droit, technologies & prospectives

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EXPERTISES N°488 - mars 2023 - Actifs immatériels : Une valeur encore trop sous-estimée / Sylvie Gamet
N°488 – mars 2023
EXPERTISES N°487 - février 2023 - Flux transatlantique de données : Des progrès mais… / Bradley Joslove
N°487 – février 2023
EXPERTISES N°486 - janvier 2023 - L’intelligence juridique : pour un juriste stratège / Véronique Chapuis-Thuault
N°486 – janvier 2023
EXPERTISES N°485 - décembre 2022 - Les problématiques virtuelles des métavers / Caroline Laverdet
N°485 – décembre 2022
EXPERTISES N°484 - novembre 2022 - BIG DATA DEMATERIALISATION DU REEL / Antoinette Rouvroy
N°484 – novembre 2022
EXPERTISES N°483 - octobre 2022 - Intelligence artificielle : Vers une justice plus sécurisée / Thomas Cassuto
N°483 – octobre 2022
EXPERTISES N°482 - septembre 2022 - MiCA, un règlement qui manque de hauteur / Pierre Storrer
N°482 – septembre 2022
EXPERTISES N°481 - juillet 2022 - Néobanques, le far west bancaire / Aude Poulain de Saint Père
N°481 – juillet 2022
EXPERTISES N°480 - juin 2022 - Géopolitique du numérique et risque de fragmentation / HENRI VERDIDER
N°480 – juin 2022
EXPERTISES N°479 - mai 2022 - Ransomware : payez la rançon l'assurance rembourse / Valéria FAURE-MUNTIAN
N°479 – mai 2022
EXPERTISES N°478 - avril 2022 - RÉDUIRE LA POLLUTION DU NUMÉRIQUE : UNE LOI PIONNIÈRE / Patrick CHAIZE et Frédéric BORDAGE
N°478 – avril 2022
EXPERTISES N°477 - mars 2022 - LE CASSE-TETE DE LA FISCALITE DES CRYPTO-MONNAIES / Frédéric poilpré
N°477 – mars 2022
EXPERTISES N°476 - février 2022 - Véhicule connecté : l'enjeu des données / Romain Perray
N°476 – février 2022
EXPERTISES N°475 - janvier 2022 - DROIT DU LOGICIEL : ETAT DES LIEUX / Bernard LAMON
N°475 – janvier 2022
EXPERTISES N°474 - décembre 2021 - Open data judiciaire : Un lancement prudent / Estelle Jond-Necand
N°474 – décembre 2021
EXPERTISES N°473 - novembre 2021 - La data au cœur des investigations internes / Jean-Julien Lemonnier
N°473 – novembre 2021
EXPERTISES N°472 - octobre 2021 - ROMAIN DARRIERE / INFLUENCEURS VERS LA MATURITÉ
N°472 – octobre 2021
EXPERTISES N°471 - septembre 2021 - ENTENTES ALGORITHMIQUES / NATASHA TARDIF
N°471 – septembre 2021
EXPERTISES N°470 - juillet 2021 - Brevets IA : les écueils à éviter / Mathias Robert
N°470 – juillet 2021
EXPERTISES N°469 - juin 2021 - IA : POUR UN DROIT DE RUPTURE / ALAIN BENSOUSSAN
N°469 – juin 2021
EXPERTISES N°468 - mai 2021 - Néoassurance, un modèle qui émerge / Christophe Dandois
N°468 – mai 2021
EXPERTISES N°467 - mars 2021 - Humain / machine : la nouvelle division du travail juridique / Olivier CHADUTEAU
N°467 – mars 2021
EXPERTISES N°466 - mars 2021 - DSA/DMA : CHANGEMENT DANS LA CONTINUITÉ / ANNE COUSIN ET JEAN-MATHIEU COT
N°466 – mars 2021
EXPERTISES N°465 - février 2021 - CMP : UN PASSEUR DE CONSENTEMENT / Romain BESSUGES-MEUSY
N°465 – février 2021
EXPERTISES N°464 - janvier 2021 - L’expertise-conciliation : pacifier les litiges / Fabien CLEUET et François-Pierre LANI
N°464 – janvier 2021
EXPERTISES N°463 - décembre 2020 - Matching prédictif un recrutement biaisé / Stéphanie Lecerf
N°463 – décembre 2020
EXPERTISES N°462 - novembre 2020 - La révolution open banking / Thibault Verbiest
N°462 – novembre 2020
EXPERTISES N°461 - octobre 2020 - IA en procès / Yannick Meneceur
N°461 – octobre 2020
EXPERTISES N°460 - septembre 2020 - Smart city : intérêt général by design / Jacques Priol
N°460 – septembre 2020
EXPERTISES N°459 - juillet 2020 - Transmettre l'immatériel / David Ayache
N°459 – juillet 2020
EXPERTISES N°458 - juin 2020 - Les racines de notre dépendance technologique / Christian HARBULOT
N°458 – juin 2020
EXPERTISES N°457 - mai 2020 - Covid 19 & données personnelles<br>De la défiance à la confiance / Yann Padova” title=”EXPERTISES N°457 – mai 2020 – Covid 19 & données personnelles<br>De la défiance à la confiance / Yann Padova” description=”EXPERTISES N°457 – mai 2020-  Covid 19 & données personnelles<br>De la défiance à la confiance / Yann Padova”></div>
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EXPERTISES N°456 - avril 2020 - Pour l’ouverture<br>des données privées / Laurent Lafaye” title=”EXPERTISES N°456 – avril 2020 – Pour l’ouverture<br>des données privées / Laurent Lafaye” description=”EXPERTISES N°456 – avril 2020-  Pour l’ouverture<br>des données privées / Laurent Lafaye”></div>
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EXPERTISES N°455 - mars 2020 - Profilage :<br> pratiques & parades / Cédric Lauradoux” title=”EXPERTISES N°455 – mars 2020 – Profilage :<br> pratiques & parades / Cédric Lauradoux” description=”EXPERTISES N°455 – mars 2020-  Profilage :<br> pratiques & parades / Cédric Lauradoux”></div>
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EXPERTISES N°454 - février 2020 - La robustesse de<br>la PI face A l’IA / Franck Macrez” title=”EXPERTISES N°454 – février 2020 – La robustesse de<br>la PI face A l’IA / Franck Macrez” description=”EXPERTISES N°454 – février 2020-  La robustesse de<br>la PI face A l’IA / Franck Macrez”></div>
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EXPERTISES N°453 - janvier 2020 - RGPD : une révolution dans la continuité / Ariane MOLE
N°453 – janvier 2020
EXPERTISES N°452 - décembre 2019 - le droit de<br>la compliance<br>pour réguler l’internet / Marie-Anne Frison-Roche” title=”EXPERTISES N°452 – décembre 2019 – le droit de<br>la compliance<br>pour réguler l’internet / Marie-Anne Frison-Roche” description=”EXPERTISES N°452 – décembre 2019-  le droit de<br>la compliance<br>pour réguler l’internet / Marie-Anne Frison-Roche”></div>
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EXPERTISES N°451 - novembre 2019 - Data brokers :</br>le trou noir</br>des données personnelles / Antoine Dubus” title=”EXPERTISES N°451 – novembre 2019 – Data brokers :</br>le trou noir</br>des données personnelles / Antoine Dubus” description=”EXPERTISES N°451 – novembre 2019-  Data brokers :</br>le trou noir</br>des données personnelles / Antoine Dubus”></div>
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EXPERTISES N°450 - octobre 2019 - Numérique :<br>le défi fiscal / Frédéric Douet” title=”EXPERTISES N°450 – octobre 2019 – Numérique :<br>le défi fiscal / Frédéric Douet” description=”EXPERTISES N°450 – octobre 2019-  Numérique :<br>le défi fiscal / Frédéric Douet”></div>
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EXPERTISES N°449 - septembre 2019 - L'impérialisme<br>juridique / Olivier de Maison Rouge” title=”EXPERTISES N°449 – septembre 2019 – L’impérialisme<br>juridique / Olivier de Maison Rouge” description=”EXPERTISES N°449 – septembre 2019-  L’impérialisme<br>juridique / Olivier de Maison Rouge”></div>
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EXPERTISES N°448 - juillet 2019 - DPO : un métier<br>qui s’installe / Paul Olivier Gibert” title=”EXPERTISES N°448 – juillet 2019 – DPO : un métier<br>qui s’installe / Paul Olivier Gibert” description=”EXPERTISES N°448 – juillet 2019-  DPO : un métier<br>qui s’installe / Paul Olivier Gibert”></div>
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EXPERTISES N°447 - juin 2019 - Le RGPD : du droit sans vision stratégique / Julien Nocetti
N°447 – juin 2019
EXPERTISES N°446 - mai 2019 - IGN : la gratuitE des données en question / Marie Pisan
N°446 – mai 2019
EXPERTISES N°445 - avril 2019 - Nom de domaine un actif et des risques / Nathalie Dreyfus
N°445 – avril 2019
EXPERTISES N°444 - mars 2019 - Les logiciels libres, un modèle mature / Benjamin Jean
N°444 – mars 2019
EXPERTISES N°443 - février 2019 - Résister à la gouvernance algorithmique / François Pellegrini
N°443 – février 2019
EXPERTISES N°442 - janvier 2019 - Anticiper sa survie numérique au-delà de sa mort / Mathieu Fontaine
N°442 – janvier 2019
EXPERTISES N°441 - décembre 2018 - Intelligence artificielle et médecine quelle éthique pour demain ? / David Gruson
N°441 – décembre 2018
EXPERTISES N°440 - novembre 2018 - Blockchain AS A SERVICE Démocratisation de la blockchain ? / Marc-Antoine Ledieu
N°440 – novembre 2018
EXPERTISES N°439 - octobre 2018 - Nathalie Nevejans / Nathalie Nevejans
N°439 – octobre 2018
EXPERTISES N°438 - septembre 2018 - Pour la médiation judiciaire en  propriété  intellectuelle / Françoise Barutel Naulleau
N°438 – septembre 2018
EXPERTISES N°437 - juillet 2018 - Science-fiction : quand l’imaginaire devient source de droit / Fabrice Defferrard
N°437 – juillet 2018
EXPERTISES N°436 - juin 2018 - CONTRATS, Accès indirects & coûts cachés : SAP BRISE LA GLACE AVEC Ses utilisateurs / Gianmaria Perancin
N°436 – juin 2018
EXPERTISES N°435 - mai 2018 - L’innovation prédatrice Un nouveau défi pour le droit de la concurrence / Thibault Schrepel
N°435 – mai 2018
EXPERTISES N°434 - avril 2018 - LES données LA NOUVELLE INGENIéRIE  DU POUVOIR / Adrien Basdevant
N°434 – avril 2018
EXPERTISES N°433 - mars 2018 - L’open data de la jurisprudence : Le casse-tête de l’anonymisation / Loïc Cadiet
N°433 – mars 2018
EXPERTISES N°432 - février 2018 - RGPD : vers un futur standard global / Max Schrems
N°432 – février 2018
EXPERTISES N°431 - janvier 2018 - L’angoisse du RGPD la Cnil rassure / Jean Lessi
N°431 – janvier 2018
EXPERTISES des systèmes d’informationmars 2023 – N°488

L'édito du mois

Deux fois payant

Depuis le 24 février dernier en Nouvelle-Zélande et en Australie, Meta propose à titre expérimental une version payante de Facebook et d’Instagram qui est destinée à être étendue au reste du monde. Pour 11,99 dollars par mois (version web) ou 14,99 dollars (version iOS), les utilisateurs peuvent bénéficier d’un compte « vérifié » : ils sont mieux protégés contre les usurpations d’identité, ils ont droit à davantage de visibilité algorithmique pour leurs propres publications et leurs résultats de recherche ainsi qu’un « accès direct au service client » avec la possibilité de contacter un opérateur humain. Un service payant : une petite révolution ! Quand Facebook a ouvert ses portes en 2004, on lisait sur sa page d’inscription l’affirmation suivante : « C’est gratuit et cela le sera toujours. » Mais dans ce monde, rien n’est permanent, tout bouge. Même les modèles économiques. Aujourd’hui, la devise de Facebook « C’est rapide et facile » ne fait plus référence au dogme de la gratuité, même si le service reste fondamentalement non payant.
Les temps changent. La crise touche tout le monde, même les Big Techs. Puis le modèle de l’open bar sur les données personnelles touche à ses limites. Il est vrai que leur exploitation est désormais quelque peu entravée, ce qui nuit à la profitabilité de ces réseaux sociaux. D’abord Apple a imposé l’opt-in, ce qui a fait perdre à Meta près de dix milliards de dollars en 2022 car plus de 50% des utilisateurs d’Apple avaient refusé d’être suivis. Par ailleurs, le RGPD a aussi eu un impact sur la profitabilité des géants de l’internet. En condamnant Meta à 390 millions d’euros d’amende (210 millions pour Facebook et 180 millions pour Instagram), et surtout en lui imposant de se conformer au RGPD dans un délai de trois mois, le 31 décembre dernier, l’autorité de contrôle irlandaise a sifflé la fin de la publicité personnalisée non expressément consentie, en connaissance de cause.
Une nouvelle tendance émerge désormais, celle de l’hybridation des modèles économiques. Twitter offre la validation de l’authenticité d’un compte, la possibilité de publier des contenus plus longs et bientôt moins de publicité contre un forfait payant. Snap et Youtube ont aussi lancé des abonnements payants, tandis que les services de vidéo Netflix ou Disney + se mettent à la publicité. Mais cela ne semble pas concerner les données personnelles.
L’internet s’est construit sur le modèle de la gratuité. Enfin sur une prétendue gratuité car l’accès aux services numériques a toujours eu une contrepartie : le siphonnage et l’exploitation de nos données personnelles. Sauf que le prix n’était pas affiché. Tout le monde connaît l’adage : « si c’est gratuit, c’est que vous êtes le produit ». Est-ce qu’avec le modèle payant qui émerge, on cessera d’être le produit ? Est-ce que nos données personnelles ne seront plus traitées ? Rien ne semble l’indiquer. On va donc payer deux fois pour un même service.
On aurait pu penser que ces nouvelles offres de services numériques procurent une zone franche, un port de sûreté (un « safe harbor ») où les informations nous concernant seraient à l’abri de tout appétit. Mais personne ne connaît l’avenir. Peut-être qu’un jour, on nous proposera de payer pour disposer d’un droit à la protection de notre vie privée.

Le focus du mois

Réseaux sociaux

L’Europe leader de la régulation

Alors que les Etats-Unis avaient créé le statut d’hébergeur, ils n’arrivent pas à trouver un nouveau modèle de régulation des contenus sur internet, faute de consensus politique. L’Europe en retard sur la technologie a pris le leadership normatif avec le DSA. Ce texte parviendra-t-il à un contrôle effectif des réseaux sociaux et de leur pratique ambigüe de la modération ?

Les réseaux sociaux ont transformé notre rapport aux autres, au monde, à l’information et à la politique. Tandis qu’ils ont offert à tout un chacun la possibilité de s’exprimer, ils permettent aussi des déviances qui représentent une menace pour la liberté d’expression, nos démocraties et les personnes, en particulier les jeunes. Ils ont pu prospérer et s’imposer en tant qu’infrastructures informationnelles grâce, notamment, au statut d’hébergeur qui leur procure une relative immunité.

Mais aujourd’hui, la nécessité de faire évoluer ce système, né aux Etats-Unis en 1996 puis introduit en Europe 2000, s’impose. L’Europe est en train de jouer un rôle moteur avec le DSA qui propose un début de réponse pour une régulation des contenus sur ces puissances non politiques mais à l’impact géopolitique certain. La question du rôle et de la responsabilité de ces plateformes fait également débat aux Etats-Unis tant au niveau du Congrès que de la Cour suprême qui doit se prononcer sur la responsabilité respectivement de Google et de Twitter dans deux attentats. Mais le dissensus entre Républicains et Démocrates est trop important pour qu’un changement intervienne à court terme.
En 1996, les Etats-Unis ont adopté la section 230 du Communications Decency Act, qui a instauré un principe d’irresponsabilité des hébergeurs du fait des contenus diffusés par leurs utilisateurs. Décrit comme « les 26 mots qui ont créé internet », l’article 230 a permis au monde en ligne de se développer et à la parole de s’exprimer sans intermédiaire et sans filtre. L’Europe a suivi cette ligne en 2000 avec la directive sur le commerce électronique. La seule contrepartie à ce statut libéral consistait à imposer une obligation de prompt retrait en cas de signalement d’un contenu illicite.

Aujourd’hui, le paysage de l’internet n’a plus rien à voir avec celui de 1996. A l’époque, les réseaux sociaux n’existaient pas. Aujourd’hui, ils comptent 4,74 milliards d’utilisateurs actifs, soit 60 % de la population mondiale qui postent des torrents de messages, de vidéos et autres commentaires dont nombres d’informations fausses rendues visibles par leur viralité.

On a laissé à des entreprises privées la mission de réguler la diffusion des contenus par la modération. Ce qui n’a pas été sans effets juridiques sur la liberté d’expression, comme l’explique Julie Charpenet, auteure d’une thèse sur la modération des contenus en ligne. Ce système a donné lieu à une contractualisation de la liberté d’expression dont les contours sont définis dans les CGU auxquelles on consent. Par ailleurs, la modération confrontée à une déferlante de contenus a été en grande partie automatisée. Par exemple chez Youtube, 95 % des contenus suspects sont détectés par un algorithme.

Or, les algorithmes peuvent comporter des biais qui sont susceptibles d’amplifier les éventuelles discriminations. Enfin, le caractère mondial de ces plateformes a conduit à une standardisation de la liberté d’expression, avec une tendance à se caler sur les lois les plus contraignantes. « Les réseaux sociaux s’imposent donc comme les régulateurs d’une conversation mondiale, par des opérateurs privés, sans mandat politique et sont devenus les garants de notre liberté d’expression ».

Modération,
un moyen imparfait

Comme le rappelle Asma Mhalla, maîtresse de conférences à Sciences Po, spécialiste des enjeux politiques de l’économie des plateformes numériques, la modération n’est pas neutre car elle est pratiquée par des entreprises qui ont leurs valeurs, leur gouvernance, leurs intérêts et dont les modèles économique, idéologique et technologique sont parfaitement imbriqués et cohérents. N’oublions pas leur intérêt à prolonger le temps passé par les utilisateurs sur leurs plateformes, ce qu’elles font en favorisant les contenus qui polarisent le plus les discussions, au moyen de leurs algorithmes. Par ailleurs, si elles ne pratiquent pas la censure à la russe ou à la chinoise, elles sont portées par une vision politique de la liberté d’expression, comme le révèle la pratique de la modération d’Elon Musk pour Twitter.

Malgré les grandes limites de la modération des big techs, l’Europe ne la remet pas en cause mais la place sous contrôle. Le DSA oblige les « gatekeepers » à mettre en place des équipes et des solutions de modération avec des points de contact nationaux assorties de nouvelles obligations : interdiction de la publicité ciblée sur les mineurs, interdiction d’exploiter des données sensibles, reportings et remontées d’informations régulières sur les moyens de modération mis en œuvre, accès des données aux chercheurs, transparence sur l’architecture des algorithmes de recommandation, implication plus forte de tiers de confiance pour le signalement de contenus problématiques, etc. En cas de non-respect de ces règles, des sanctions s’appliqueront : de l’amende (6 % du chiffres d’affaires) jusqu’à son interdiction pure et simple en cas de manquements graves.

Dès septembre 2023, ces règles s’imposeront aux très grandes plateformes en ligne, celles qui disposent de plus de 45 millions d’utilisateurs dans l’Union européenne. Le 15 février, les plateformes ont déclaré à la Commission européenne leur nombre d’utilisateurs européens : TikTok 125 millions, Facebook 255 millions, Instagram 250 millions d’utilisateurs, Twitter 101 millions d’utilisateurs et YouTube 401 millions.

L’effet DSA sur TikTok

Avant son application, le DSA a déjà commencé à produire ses effets sur la plateforme chinoise : le 3 février dernier, elle s’est dotée d’un système de modération et de signalement digne de ce nom. Fin janvier, le commissaire européen au Marché intérieur, Thierry Breton, s’était entretenu par visioconférence avec Shou Zi Chew, le PDG de TikTok et l’avait mis en garde en déclarant être prêt à « adopter toute la gamme des sanctions pour protéger nos citoyens si les audits ne montrent pas une conformité totale ». A cette occasion, Shou Zi Chew lui avait rappelé son engagement pour respecter la législation, en matière de protection de la vie privée, mais également pour combattre la désinformation.

Le DSA n’est pas la panacée universelle car la modération, même encadrée, ne va pas mettre fin à la guerre informationnelle et protéger nos démocraties des attaques de fake news qu’elles subissent. Mais c’est un premier pas. Avec ce texte, l’Europe joue un rôle moteur en imposant une souveraineté normative défensive. « L’avancée majeure du Digital Services Act réside dans sa philosophie générale, c’est-à-dire en ce qu’il permet de territorialiser les plateformes américaines en leur imposant des règles et procédures qui renvoient au règlement européen et in fine, aux juridictions nationales de chaque pays de l’UE. À titre d’exemple, en France, les contenus illégaux sont clairement définis par la loi de 1881 et le code pénal », estime Asma Mhalla.

De leur côté, les Etats-Unis patinent faute de consensus. Pourtant outre-Atlantique, la menace sur la liberté d’expression est aussi devenue un sujet politique. Chacun des deux partis s’en prend à la section 230 du DCA mais avec deux visions opposées. Les conservateurs considèrent qu’il protège injustement les plateformes qui « censurent » les voix conservatrices, et de façon générale, ils sont partisans d’une liberté d’expression maximale et d’une modération minimale.

A l’inverse, les libéraux accusent les plateformes de ne pas suffisamment lutter contre les discours toxiques, la violence et la subversion démocratique et soutiennent les propositions de Barak Obama de réformer la section 230. L’évolution du droit viendra-t-il alors de la Cour suprême qui doit répondre à la question de savoir si les plateformes en ligne doivent être tenues responsables lorsque leurs systèmes font des recommandations ? D’après les discussions qui ont eu lieu lors des audiences des 21 et 22 février, il est permis de douter de la volonté des juges de toucher à l’article 230.

La seule réponse européenne ne saurait cependant suffire, sous réserve du reste qu’elle ait un réel impact sur ce brouillage des frontières entre le vrai et le faux, le rejet des faits et l’amplification de la désinformation.

S’il réussit à produire des effets tangibles, il pourrait inspirer un texte international sur la gouvernance des réseaux sociaux. Le 23 février dernier, l’Unesco a organisé une conférence pour discuter des solutions réglementaires sur la crise actuelle de l’information en ligne – la toute première conférence mondiale, et a appelé à l’établissement de principes communs pour améliorer la fiabilité des informations tout en protégeant les droits humains. La directrice générale de l’Unesco Audrey Azoulay a rappelé qu’au moins 55 pays avaient ou projetaient d’avoir une réglementation sur le sujet. Mais elle a plaidé pour une approche cohérente et globale, fondée sur les droits de l’homme. « Si ces initiatives réglementaires sont développées de manière isolée, chaque pays travaillant dans son coin, elles sont vouées à l’échec. La perturbation de l’information est par définition un problème mondial, nos réflexions doivent donc se dérouler à l’échelle mondiale », a-t-elle déclaré.

par Sylvie Rozenfeld

L'invité du mois

Interview / Sylvie Gamet

par Sylvie Rozenfeld

Actifs immatériels : Une valeur encore trop sous-estimée

Les actifs immatériels jouent un rôle de plus en plus important dans la création de valeur des entreprises et représenteraient 60 à 90 % de cette valeur, suivant les secteurs d’activités. Or constate Sylvie Gamet, fondatrice de Nowall innovation, société spécialisée en stratégie, management et valorisation de l'innovation, elles sont encore nombreuses à ne pas en être conscientes. Si au mieux, elles valorisent au bilan leurs marques ou leurs brevets, elles ne prennent pas toujours en compte leur savoir-faire, leurs bases de données, etc., et ignorent la plupart du temps la protection du secret des affaires qui, pourtant, est valorisable. Elle nous fait part de son expérience en matière de valorisation de ce capital et des méthodes qu’elles utilisent et de la solution digitale d’évaluation des actifs immatériels que sa société a développée.

Sylvie Rozenfeld : Ingénieur en génie des systèmes et de l’innovation, spécialité : gestion de projets innovants, vous êtes fondatrice de Nowall innovation, société spécialisée en stratégie, management et valorisation de l’innovation. Vous êtes également pdg de Finantis Value, filiale de Nowall innovation et du groupe Finantis, qui réalise des évaluations financières d’entreprises et de leurs actifs immatériels et qui a développé une expertise en évaluation financière des actifs innovants et technologiques. Aujourd’hui, la richesse d’une entreprise dépasse la somme de ses actifs comptables et se mesure en fonction de la qualité des actifs immatériels. Garance Mathias, avocate spécialisée dans le droit du numérique et auteure d’un livre sur la valorisation de l’entreprise par la PI, faisait en 2017 le constat que le capital immatériel n’était pas toujours pris en considération à sa juste valeur. Même par les entreprises technologiques. En 2023, faites-vous le même constat ?

Sylvie Gamet : Oui, je trouve que la situation n’a pas vraiment changé, sauf peut-être pour les entreprises technologiques, comme par exemple celles qui développent des logiciels. Elles ne sont pas toujours conscientes que les richesses de l’entreprise, les marques, les brevets, les bases de données, les logiciels etc., ne sont pas forcément valorisées dans les comptes de l’entreprise. Mais ça commence à venir. Par exemple, lorsqu’une marque ou un brevet a été déposé alors que la société existait déjà, ce n’est pas toujours inscrit au bilan. Seul le coût du dépôt, et éventuellement celui des honoraires du conseil en propriété industrielle, sera sans doute immobilisé. Et si l’on ne dit pas au comptable de le mettre dans les immobilisations, il le passera probablement dans les charges. Or, cela ne reflète pas la véritable valeur que ces actifs peuvent potentiellement avoir sur leur marché.

De même, pour valoriser une entreprise, le comptable se contentera souvent de multiplier la valeur de l’EBITDA (bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissements). Sauf que le multiple choisi devrait être conditionné par la nature et le potentiel des actifs immatériels de l’entreprise car ils sont généralement les garants ou fondements de la pérennité ou de la croissance future de la société. Malgré les opérations de sensibilisation effectuées par l’Inpi ou BPI France, par les avocats et les CPI, on constate que la valorisation des actifs immatériels a un peu de mal à rentrer dans les habitudes.
Depuis 2019, l’Inpi propose une aide jusqu’à 2 500 € hors taxes, à destination des PME, pour co-financer les frais de valorisation ou de contractualisation, donc tout type de prestations qui se trouvent en périphérie des titres de propriété industrielle. BPI France propose également un diagnostic PI pour mieux exploiter la propriété intellectuelle. On voit donc qu’il y a un engagement de l’État sur la promotion de la propriété intellectuelle auprès des PME. Il faut encore davantage sensibiliser les entreprises à la propriété intellectuelle qui ont surtout le réflexe de déposer des marques. Sur les logiciels et le numérique, le fait qu’on puisse déposer ses codes sources auprès de l’Agence pour la protection des programmes n’est pas très connu ou pratiquée.

Dans quels contextes fait-on appel à vos services : juridique, fiscal, comptable ou capitalistique ?
Il y a plusieurs situations qui incitent les sociétés à nous solliciter. L’apport en capital à une société est l’un des principaux motifs. Pour la création d’une société ou d’une filiale, les fondateurs apportent souvent un brevet, un logiciel, etc., sous la forme d’un apport en nature et ils ont besoin d’évaluer et de valoriser ces actifs. Il peut également y avoir des raisons liées à la fiscalité, par exemple dans le cadre d’un rachat. Une partie du prix porte sur des actifs corporels inscrits au bilan, mais une grande partie porte souvent sur des actifs immatériels, un portefeuille de brevets ou de marques par exemple. Pour les droits d’enregistrement de cette acquisition, il peut être intéressant d’isoler le prix des actifs immatériels car la taxation ne va pas être la même que celle des actifs corporels).

Intervenez-vous dans le cadre d’une liquidation judiciaire ?
Assez peu. Quand il y a un acheteur potentiel, on peut nous demander de valoriser les actifs de l’entreprise mais ça arrive rarement car nos prestations représentent un coût. Généralement, le liquidateur vend au plus offrant. En revanche, il nous est arrivé d’intervenir a posteriori, c’est-à-dire au moment du rachat d’une société qui a déposé le bilan et fait l’objet d’une offre de rachat ou de reprise auprès du tribunal de commerce. On nou…

Les doctrines du mois

Intelligence artificielle

Les IA génératives à l’épreuve du droit d’auteur et des droits voisins Approche comparée en droit européen et américain Données / contenus entrants (1ère partie)

Par Charles Bouffier - Victoire Danès - Emma Gausson - Delfina Homen - Brian Esler

A l’heure où des intelligences artificielles (IA) dites « génératives » sont capables de produire des œuvres à partir d’instructions humaines sommaires, grâce à leur entraînement sur des textes, des images ou des sons préexistants, des avocats français et américains se sont interrogés sur les questions que soulèvent ces technologies à l’aune du droit d’auteur et des droits voisins européens et du copyright américain. Dans une première partie que nous publions dans ce numéro, les auteurs analysent les conditions du recours à des données / contenus entrants, pouvant être protégés par un droit de propriété intellectuelle, pour l’apprentissage de ces IA. Le mois prochain, nous publierons la seconde partie de cet article consacrée à la protection éventuelle des œuvres générées par ces IA.

E-commerce

Responsabilité croissante des marketplaces européen et américain

Par Elsa RODRIGUES et Justine MASSARD

L’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne rendu le 22 décembre 2022 dans l’affaire Louboutin / Amazon s’inscrit dans une tendance notable à la responsabilisation des plateformes d’e-commerce et écarte le principe de non-responsabilité de l’exploitant de marketplace tel que dégagé par l’arrêt L’Oréal/eBay s’agissant des plateformes dites hybrides comme Amazon.

Données de santé

Accès aux données de santé du SNDS : Quelles conditions et quelle lisibilité ?

Par Marguerite Brac de La Perrière

Quelles sont les conditions d’accès aux données de santé du Système national des données de santé (SNDS) ? Quels critères d’évaluation par le CESREES, et quelle transparence ? Comment interpréter la décision de refus de la Cnil au magazine Le Point d’accéder aux données du PMSI, une composante du SNDS ?

Intelligence artificielle

Le contrôle humain : garantie de l’usage de l’IA dans le diagnostic médical

Par Jeanne Bossi Malafosse

Le Comité national pilote d’éthique du numérique et le Comité consultatif national d’éthique ont rendu public un avis commun sur les enjeux éthiques soulevés par l’utilisation de l’intelligence artificielle ( IA) dans le domaine du diagnostic médical. Ils suggèrent des recommandations pour concilier les bénéfices de l’IA pour les patients et les risques de l’usage de cette technologie.

RGPD

Sécuriser les données de santé, c’est déjà sécuriser leur envoi…

Par Alexandre FIEVEE

Comme chaque mois, Alexandre Fievée tente d’apporter des réponses aux questions que tout le monde se pose en matière de protection des données personnelles, en s’appuyant sur les décisions rendues par les autorités nationales de contrôle au niveau européen et les juridictions européennes. Ce mois-ci, il se penche sur la problématique de la sécurité des communications dans le cadre des envois électroniques et postaux contenant des données de santé à caractère personnel.

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