Le secteur du droit est-il en train de s’uberiser ? Il faudrait davantage parler d’un vaste mouvement de transformation de l’accès au droit, estime Dominic Jensen, ancien avocat qui se consacre aujourd’hui aux questions de stratégie et d’organisation des cabinets d’avocats. Il identifie trois types d’offres sur internet : les sites facilitateurs pour agir en justice, les propositions de contrats-types et les plateformes de mise en relation avec un professionnel du droit. Dominic Jensen ne croit pas que les juristes sont menacés par ce phénomène qui pourtant connaît une brutale accélération depuis un an. Les enjeux ne sont pas les mêmes pour les huissiers, les notaires ou les juristes d’entreprise. Pour les avocats, il y a un déplacement de valeur ajoutée, qui les oblige à revoir leur manière d’exercer leur métier.
Sylvie Rozenfeld : Les start-up et les sites qui proposent des prestations en ligne d’aide à la saisine des tribunaux, à la rédaction de contrats, à la production de documents, etc. se multiplient. Ce phénomène qui a explosé en 2015 est souvent qualifié d’ubérisation du droit. Abus de langage, simplification d’un phénomène plus vaste ou vraie réalité ?
Dominic Jensen : Il existe un foisonnement d’initiatives dans le domaine du droit depuis deux ans, avec une vraie accélération depuis un an. On parle d’ubérisation du droit. Mais si on regarde les modèles économiques de ce qui est proposé, on constate que ce n’est pas du tout le cas. Il s’agit essentiellement d’offres de facilitation d’accès au droit et non pas d’une greffe d’un business model sur des prestations existantes. Nous sommes ici plutôt dans la création de nouvelles prestations qui concernent l’accès au droit, dans la quasi-totalité des cas. On peut identifier trois types d’initiatives. Il y a d’abord les sites facilitateurs pour agir en justice. Ensuite, on trouve des sites qui proposent des contrats, avec une offre à deux niveaux : un contrat-type dans un premier temps, et en cas de besoins spécifiques, une mise en relation de l’internaute avec des avocats référencés par le site. Le troisième type d’initiative consiste en des plateformes de mise en relation, une sorte d’annuaire interactif sophistiqué permettant de mettre des clients potentiels en relation avec des avocats.
S. R. : Toutes ces prestations sont a priori licites.
D. J. : La quasi-totalité de l’offre est licite. Ceux qui les ont créées ont réfléchi avant de se lancer, même si ce ne sont généralement pas des juristes. Souvent, ils ont postulé à un prix de l’innovation comme celui de l’Incubateur du barreau de Paris ou celui du Village de la justice, qui visent à stimuler la créativité et la prise d’initiative autour de la prestation juridique. Ce qui pose problème est le fait de proposer des prestations juridiques par des personnes qui ne sont pas habilitées à le faire, en raison des questions de responsabilité professionnelle, de secret professionnel, etc. Mais quand on vend du contrat-type, on ne vend pas de conseils mais un document. Les éditeurs le font depuis des décennies et cela n’a jamais posé problème. En cas de nécessité d’une prestation de conseil, il suffit de mettre la personne en relation avec un avocat. Dans ce cas, la question de la légalité ne se pose pas.
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