Sans attendre le projet de loi numérique, qui doit consacrer le principe de l’ouverture des données publiques, les députés l’imposent par petites touches.
Les députés ont tout dernièrement voté en faveur de l’ouverture des données de transport, des collectivités publiques mais aussi des données du registre du commerce et des sociétés.Tantôt à l’initiative du gouvernement, tantôt à celle des députés, malgré la perspective d’un futur texte général. Précipitation ou volonté d’accélérer un processus qui devrait aboutir à un cadre juridique dans le très attendu projet de loi sur le numérique ?
La future loi numérique devrait comporter un chapitre entier sur l’open data, a promis Thierry Mandon, secrétaire d’Etat à la Modernisation et à la Réforme de l’Etat. Il devrait consacrer les principes d’ouverture des données publiques par défaut, de réutilisation libre à des fins commerciales ou non, de gratuité sauf si une redevance est nécessaire, à condition d’être limitée à la couverture des coûts de mise à disposition. Ce texte est en cours de finalisation.
C’est pourquoi l’intervention du législateur de manière dispersée et parfois superficielle étonne certains. Car si les idées sont pertinentes et le besoin d’ouverture bien réel, les bonnes intentions n’aboutissent pas toujours aux meilleurs résultats. L’exemple des données de transports ouvertes dans le cadre du projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite loi Macron en est une illustration. Les députés ont approuvé l’article 1er quater qui prévoit l’accès aux données nécessaires à l’information du voyageur. Selon ce texte, « les principales données des services réguliers de transport public de personnes sont mises en ligne à la disposition du public, sous un format ouvert et librement réutilisable. Ces données incluent les arrêts, les horaires planifiés et les informations sur l’accessibilité aux personnes handicapées ». Quant aux modalités d’application, elles sont renvoyées à un futur décret. Aujourd’hui, une personne qui doit utiliser différents transports (train, bus, métro, etc.) pour un trajet, ne trouvera pas une information complète et centralisée sur internet ou via une application mobile. L’ouverture de ces données est parcellaire d’où le dépôt de deux amendements identiques du groupe écologique et des radicaux de gauche. Mais le dispositif reste imprécis, a regretté le député UMP Lionel Tardy. Pour le centriste Bertrand Plancher, pourtant fervent partisan de l’open data, il ne lui semble pas possible « de traiter d’un sujet aussi complexe au travers d’un amendement de ce type (…) il faut avoir une réflexion d’ensemble ». Alors que le gouvernement était contre ce texte, jugé prématuré car court-circuitant le processus d’élaboration de la loi numérique, les députés n’ont pas voulu attendre un texte qui n’est pas encore rédigé.
Toujours dans le projet de loi Macron, le gouvernement a, de son côté, pris l’initiative d’imposer la gratuité des données issues du registre commerce et des sociétés, jusque-là exploitées lucrativement par les greffiers des tribunaux de commerce. Son article 19 prévoit que : « le greffier transmet à l’Institut national de la propriété intellectuelle, par voie électronique et sans frais, un document valant original des inscriptions effectuées au greffe et des actes et pièces qui y sont déposés, dans un délai et selon des modalités fixés par décret. Il lui transmet également, par voie électronique, sans frais ni délai, les résultats des retraitements des informations contenues dans les inscriptions, actes et pièces mentionnés au deuxième alinéa, dans un format informatique ouvert de nature à favoriser leur interopérabilité et leur réutilisation ». Infogreffe permet déjà la réutilisation des données dans un format ouvert et l’interopérabilité. Mais à titre payant. Les greffiers seront désormais contraints de transmettre, sans frais, à l’Inpi ces données, dont l’exploitation représente une vraie manne. La profession, vent debout, argue de ses droits de propriété intellectuelle sur les bases de données qu’elle a constituées. A quoi le ministre de l’Economie Emmanuel Macron a rétorqué que « les données concernées par cet article appartiennent à l’Etat ».
Autre ouverture des données à l’initiative des députés, celles des données budgétaires relatives aux collectivités locales figurant dans la loi de programmation des finances publiques du 29 décembre 2014 (JO 30 décembre). Le Parlement a en effet retenu l’amendement de la députée PS Valérie Rabault visant à ce que le détail des « attributions individuelles » versées chaque année par l’Etat aux collectivités territoriales soient diffusées en open data sur la plateforme « data.gouv.fr ».
Il s’agit de pouvoir retrouver, commune par commune, l’ensemble des enveloppes budgétaires allouées.
Enfin, et pas des moindres, le projet de loi relatif à la santé instaure la libéralisation des données de santé. Du moins une relative ouverture de ces données, dans un cadre beaucoup plus restreint que le discours gouvernemental le laissait penser (voir l’interview p. 91). Déposé le 15 octobre dernier à l’Assemblée nationale, il comporte un immense chapitre V
« Créer les conditions d’un accès ouvert aux données de santé » qui met en place un dispositif complexe d’accès à ces données sensibles. Il crée un Système national des données de santé (SNDS) qui centralisera les données des bases existantes en matière sanitaire et médico-sociale et qui assurera leur mise à disposition selon deux modes possibles. Soit les données ne sont pas du tout identifiantes, dans ce cas elles seront accessibles et réutilisables par tous en open data. Soit elles le sont potentiellement, et elles pourront être accessibles pour des fins de recherche, d’étude ou d’évaluation après autorisation de la Cnil, ou sur autorisation par décret en Conseil d ‘Etat, après avis de la Cnil, « pour l’accomplissement des missions de service public, à des conditions rigoureuses assurant la protection de ces données sensibles ».
Le projet de loi sur le numérique promis depuis 2013 devrait être présenté au Parlement avant la fin de l’année. Un cadre général nécessaire.
Sylvie ROZENFELD