Le numérique fait sauter les tabous les plus tenaces. Le dernier en date : la remise en cause de la loi de 1881 sur la liberté de la presse. La ministre de la Justice, Nicole Belloubet, a annoncé sur le site Internet du Journal du dimanche, le 15 juin dernier, qu’elle allait solliciter, avant d’envisager une réforme législative, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) sur la sortie de certaines infractions de la loi sur la presse, comme l’injure ou la diffamation, pour les inscrire dans le droit pénal de droit commun.

La démarche est osée et, on s’en doute, vivement critiquée. Mais doit-on rester figer dans nos certitudes quand tout change ? La loi de 1881, comme son année d’adoption l’indique, est d’un autre âge. Avec les réseaux sociaux qui offrent à chacun la possibilité de s’exprimer sans filtre, les conditions ne sont plus les mêmes. Pour autant, ne risque-t-on pas de ruiner l’équilibre de cette loi en l’amputant de l’injure et de la diffamation, qui représentent près de 90 % du contentieux lié à cette loi ?

Plusieurs associations, dont la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra), plaident pour sortir les incitations à la haine raciale ou religieuse de la loi sur la presse et en faire des délits de droit commun. Des avocats spécialistes du droit de la presse, quant à eux, mettent en garde contre les risques de toucher à ce texte. « Ce n’est pas la loi de 1881 qui entrave la répression, mais plus sûrement l’inaction des parquets et surtout la difficulté d’identification des auteurs d’injures haineuses », estime le vice-batônnier Basile Ader. Selon lui, il serait préférable d’améliorer la réponse pénale : « Quand le message est évident et les conditions de flagrance sont réunies, le parquet pourrait agir en comparution immédiate pour injure raciale : il suffirait d’un alinéa de plus à l’article 54 de la loi de 1881 ».

Néanmoins, les réseaux sociaux lancent à la liberté d’expression un défi d’une nature jusqu’ici inconnue. Les propos racistes, haineux, injurieux prospèrent et le droit apparaît impuissant pour endiguer cette déferlante nauséabonde. « La loi n’est plus adaptée pour réprimer ces discours de haine. La loi du 29 juillet 1881 (…), inspirée par l’idéal révolutionnaire, était avant tout initialement destinée à préserver la liberté d’expression. Les parlementaires, dont l’objectif était alors d’éliminer la censure préventive des publications, ont multiplié les obstacles aux poursuites des organes de presse. Ces mesures sont devenues, avec l’évolution des médias et des réseaux de diffusion de l’information, des véritables facteurs d’obstruction à l’application de la loi pénale », a déclaré Catherine Champrenault, procureure générale de Paris, dans une tribune publiée dans Libération.

Pour l’instant, le législateur tâtonne sans trop de succès pour trouver une arme juridique efficace, que ce soit avec l’apologie du terrorisme introduite dans le droit commun par la loi du 13 novembre 2014 ou la loi anti-fakes news. Il faut continuer de chercher la parade, sans préjugés. Le risque est de voir les réseaux sociaux se transformer en censeur.

Le 3 juillet dernier, la proposition de loi Avia visant à lutter contre la haine sur internet a été discutée à l’Assemblée nationale. Une autre réponse face à la haine qui passe par la responsabilisation des réseaux sociaux. A voir.