A bas bruit, la suprématie des Gafam s’impose sur un nouveau terrain : les câbles sous-marins. Jusqu’à très récemment, les opérateurs de télécommunications s’entendaient pour installer ces infrastructures très onéreuses et s’en partageaient la propriété. Et les géants de l’internet louaient les services des opérateurs. Mais devant la croissance exponentielle de leurs besoins en trafic internet et grâce à leur capacité financière, ils ont basculé vers une autre option : disposer d’un réseau privé de câbles sous-marins. En 2010, 5 % des câbles étaient contrôlés par les Gafam. Aujourd’hui c’est 50 % et ce sera 95 % en 2024. « Nos besoins ont tellement grandi que nous avons dû créer nos propres câbles afin de pouvoir faire les choses comme nous le souhaitions, sans dépendre des opérateurs télécoms », indique Jayne Stowell, la responsable des câbles sous-marins à Google. Aujourd’hui, Google a investi dans 15 câbles dont quatre en tant que propriétaire à part en entière. A la fin 2020, le câble Dunant, complètement privé, devrait relier les États-Unis et la France, pour les activités cloud de Google. Il s’agira du premier câble d’un Gafam arrivant en France. Et ce sera le plus puissant jamais posé dans l’océan. Il dépassera en termes de capacités Marea cofinancé par Facebook et Microsoft en 2017 dont l’atterrissement est à Bilbao. Facebook, avec une dizaine de câbles sous-marins est très offensif sur ce terrain, Amazon s’est impliqué dans cinq câbles et Microsoft dans deux.

Aujourd’hui, 99 % des communications intercontinentales, internet et téléphonie mobile, passent par ces câbles sous-marins. Et près de 80 % du trafic internet va vers les Etats-Unis car les données sont, en partie, localisées dans des data centers américains. Malgré les enjeux, ces infrastructures sous-marines ne sont pas réglementées au niveau international. Aucune convention internationale spécifique ne les régule, tant dans le domaine du droit de la mer que dans l’harmonisation des législations nationales, au moins au plan des grands principes. Cela s’explique par le rôle secondaire que jouaient les câbles dans les années 1970-1980.

Selon l’article 87 de la convention des Nations unies sur le droit de la mer, dite convention de Montego Bay, « la haute mer est ouverte à tous les Etats qu’ils soient côtiers ou sans littoral. » L’article énumère ensuite les six libertés de la haute mer dont « la liberté de poser des câbles et des pipelines sous-marins, sous réserve de la partie VI » afférente au plateau continental des Etats côtiers. Et quand la convention cite les Etats comme titulaires de cette liberté, elle inclut implicitement leurs ressortissants, personnes physiques ou personnes morales. Dès l’instant que la pose de câbles sous-marins n’occasionne pas de gêne à la navigation internationale si elle s’effectue sur ou à proximité d’une route maritime, elle peut donc être discrétionnairement décidée par les opérateurs privés.

Aujourd’hui, nous sommes en plein far west avec une forte domination américaine et les Chinois mais aussi l’Amérique du sud tentent de résister par la pose de leurs propres câbles.
Il devient donc urgent de réfléchir à une régulation internationale de ces infrastructures stratégiques, enjeux de puissance, afin que les États imposent des règles, tant pour des raisons sécuritaires qu’économiques mais également pour garantir la neutralité des flux transportés.