Coup dur pour la direction générale de la concurrence de la Commission européenne, sans doute pas pour les Gafa. Nicholas Banasevic, qui a dirigé les enquêtes contre Google, quitte la Commission européenne où il est responsable de l’unité antitrust en charge des dossiers IT, internet et consommation électronique, au sein de la DG Concurrence. C’est d’autant plus une mauvaise nouvelle pour la DG dirigée par Margrethe Vestager qu’elle fait suite aux départs cette année de deux autres responsables expérimentés dans la lutte contre les Gafam, Cecilio Madero Villarejo et Carles Esteva Mosso. Tous les trois ont quitté la Commission pour intégrer des cabinets d’avocats globaux. Nicholas Banasevic part pour le cabinet d’origine américaine Gibson, Dunn & Crutcher LLP, qui aux Etats-Unis représente Apple, notamment dans un contentieux anti-trust contre Epic Games. Cecilio Madero Villarejo a rejoint en septembre le bureau de Bruxelles du cabinet Clifford Chance pour s’occuper des dossiers de concurrence. Il était directeur général adjoint chargé des concentrations, au sein de la DG Concurrence. Carles Esteva Mosso, quant à lui, intègre le département Antitrust & Competition du bureau bruxellois de Latham & Watkins. Il a travaillé à la Commission européenne pendant plus de 25 ans, dernièrement en tant que directeur général adjoint de la direction générale de la concurrence, en charge du contrôle des concentrations puis des aides d’État.

Ce transfert des haut fonctionnaires européens vers le secteur privé, connu sous le nom de « portes tournantes » (revolving doors), pose un vrai problème de conflit d’intérêt, si ce n’est de pratique d’influence. A ce propos, Emily O’Reilly, la médiatrice de l’Union européenne, s’est à nouveau inquiétée de ce phénomène, le 19 octobre dernier, et a demandé à la Commission la tenue d’une réunion afin d’obtenir des explications sur les autorisations qu’elle délivre aux futurs transfuges. A quelles conditions sont-elles délivrées ? Nicholas Banasevic emporte avec lui une connaissance non seulement des dossiers numériques hautement stratégiques mais aussi des méthodes et des rouages internes de la Commission. Par rapport à ces risques de divulgation, Bruxelles indique qu’ils ont été évalués « au regard des responsabilités de Nicholas Banasevic au sein de la DG COMP, afin d’établir les risques éventuels qui en découlent pour les intérêts et la réputation de l’institution ». L’autorisation a été assortie de « restrictions appropriées », afin de prévenir « tout risque de conflit réel, potentiel ou perçu comme contraire à l’intérêt légitime de la Commission », nous rapporte le quotidien Le Monde. Emily O’Reilly se demande comment éviter qu’un transfuge informe ses nouveaux collègues des dossiers dont il a eu une connaissance souvent très approfondie ? Existe-il un contrôle exercé à propos des « restrictions » ? L’enquête sur les activités futures d’un transfuge va-t-elle au-delà de la description générale fournie par le demandeur ?

D’après les règles éthiques relatives au transfert du personnel de l’Union européenne publiées sur le site de la Commission, les cadres de ces institutions ne devraient pas rejoindre un organisme de lobbying ou un cabinet d’avocats douze mois avant d’avoir quitté leur poste, dans un domaine pour lequel ils ont eu des responsabilités pendant trois ans. On peut se demander si le système fonctionne réellement et s’il ne faudrait pas des délais incompressibles ou la mise en place d’une agence indépendante pour évaluer ces situations.
Ce départ vers des cabinets d’avocats chargés de défendre des grands groupes dans le cadre d’enquêtes sur des pratiques anti-concurrentielles menées par Bruxelles pose la question de la porosité entre ces deux mondes et donc de conflit d’intérêts. Ce « pantouflage » n’est pas une pratique nouvelle. Rappelons-nous du départ très controversé de Manuel Barroso de la Commission européenne dont il avait été le président jusqu’en 2016 pour Goldman Sachs, validé par le comité éthique ou de Nellie Kroes, ex-commissaire en charge de la concurrence puis de la société de l’information, qui avait rejoint le Comité de conseil en politique publique d’Uber, après avoir défendu cette société dans le dossier UberPop.