Le 7 juin 2021, l’autorité de la concurrence a sanctionné Google, à hauteur de 220 millions d’euros, pour abus de position dominante lui reprochant d’avoir favorisé ses propres services dans le secteur de la publicité en ligne. Selon la présidente de l’autorité Isabelle de Silva, il s’agit de la première décision au monde se penchant sur les processus algorithmiques complexes d’enchères par lesquels fonctionne la publicité en ligne display. Une décision qui lève le voile sur des pratiques opaques, mais une goutte d’eau pour Google qui domine, avec Facebook et Amazon, le marché de la publicité programmatique sur lequel reposent son modèle économique et sa puissance. En un peu moins de 15 ans, la généralisation des techniques algorithmiques pour améliorer le ciblage et la personnalisation des publicités a permis à ces géants une domination sans égal du marché de la publicité en ligne. Mais certains commencent à remettre en cause la fiabilité et l’efficacité de ce ciblage, faute pour les Gafa d’en fournir la preuve.

Tim Hwang chercheur et ancien salarié de Google a publié un livre intitulé « Subprime Attention Crisis » dans lequel il explique que les publicités ciblées issues de l’exploitation des données personnelles ne sont pas plus efficaces que les publicités classiques. Pour le démontrer, il s’appuie sur plusieurs études. L’une d’entre elles, menée par des chercheurs américains et australiens, a par exemple montré qu’utiliser les données des data brokers, qui les traitent pour tenter de cibler des utilisateurs selon leur âge et leur genre, s’avère moins efficace que de les sélectionner au hasard. Il cite par ailleurs l’exemple de Procter & Gamble, un des plus grands annonceurs mondiaux, qui en 2017 a décidé de retirer 200 millions de dollars de son budget marketing digital au profit de la publicité classique, partant du constat qu’aucun changement dans les ventes, les revenus ou le comportement d’achat de ses clients n’avait pu être démontré. Il constate également que peu de publicités sont vues : le taux de clic s’élève autour de 0,01 %. Par ailleurs, Tim Hwang pointe l’utilisation de plus en plus importante des adblocks, le recours aux fermes à clics ou au domain spoofing (qui consiste à usurper le nom de domaine de sites premium pour faire croire que les pubs sont diffusées sur des espaces de qualité) qui réduisent l’impact des publicités.

Pourquoi alors un tel succès de la publicité ciblée ? Le fonctionnement opaque de l’industrie de la publicité en ligne explique que le ciblage issu de la collecte de données soit largement survalorisé. De nombreux annonceurs ne savent pas précisément où vont leurs publicités, ne connaissent pas bien leur performance et ne sont pas toujours au courant des derniers articles scientifiques sur le sujet. Un des mérites de la décision de l’Autorité de la concurrence est de permettre de mieux comprendre certains mécanismes en cause. Suite à la plainte de Corp. News, du groupe Le Figaro et du groupe Rossel, l’Autorité a mené une enquête qui révèle le fonctionnement très complexe de la publicité en ligne. Elle a ainsi constaté que « Google a accordé un traitement préférentiel à ses technologies propriétaires proposées sous la marque Google Ad Manager, à la fois en ce qui concerne le fonctionnement du serveur publicitaire DFP (qui permet aux éditeurs de sites et applications de vendre leurs espaces publicitaires), et de sa plateforme de mise en vente SSP AdX (qui organise les processus d’enchères permettant aux éditeurs de vendre leurs ‘ impressions ‘ ou inventaires publicitaires aux annonceurs) au détriment de ses concurrents et des éditeurs ».

La puissance des géants du numérique assise sur la publicité en ligne reposerait-elle sur une illusion ? Si c’est le cas, comme le prétend Tim Hwang, la bulle des Adtechs pourrait bien se dégonfler et causer des dégâts en chaîne dévastateurs.