ULTIMATUM
L’affaire « .vin » « .wine » nous replonge 15 ans en arrière avec la problématique des noms de domaine comportant des noms de vins protégés en tant qu’appellation d’origine contrôlée. Le même conflit culturel et juridique sur les AOC et les indications géographiques oppose de nouveau l’Europe et les Etats-Unis. L’attribution par l’Icann des extensions .vin et .wine à une des trois sociétés candidates, qui ont annoncé leur intention de vendre aux enchères les noms de domaine de second niveau, comme bordeaux.vin, a déclenché un clash politique. Mais l’Icann a refusé de trancher le litige et a renvoyé les parties devant l’OMC, révélant à cette occasion ses limites.
Face à l’annonce de l’Icann, le 18 juin dernier, de lancer le processus d’enchères sur ces deux extensions, Axelle Lemaire, secrétaire d’Etat à l’Economie numérique, a déclaré le 23 juin suivant à Londres, lors d’une réunion de l’Icann, que la France participerait au processus de réforme de la gouvernance de cette organisation, à la condition que l’attribution de ces deux noms de domaine génériques soit suspendue. Une attitude radicale qui a surpris ce cénacle, et qui n’a pas fait bouger l’Icann.
L’ultimatum a révélé au public un litige qui couvait depuis près de deux ans. Dès 2012, l’Organisation internationale du vin avait exprimé des réserves sur le lancement de ces deux extensions. Les représentants français, européens des AOC et autres IPG, mais aussi les producteurs américains de vins de qualité ainsi que les australiens avaient également manifesté leurs craintes. En 2013, le GAC (comité consultatif gouvernemental au sein de l’Icann) avait conseillé au conseil d’administration de l’Icann de ne pas les attribuer, sans une sérieuse évaluation. Il avait aussi émis des réserves sur « .amazon » qui, elles, avaient été entendues. Début 2014, la Commission européenne a écrit à l’Icann pour exiger que la protection des indications d’origine soit respectée et a rappelé l’existence des conventions internationales.
Pour faire le point juridique, l’Icann avait d’ailleurs sollicité l’expertise d’un Français, le professeur agrégé de l’université de Paris II Jérôme Passa, qui avait conclu qu’il n’existait pas de règle de droit sur les indications géographiques, ni de principe général qui oblige l’Icann à rejeter les candidatures en question. De leur côté, les Etats-Unis ont, comme à leur habitude, adopté une lecture libérale du dossier, et plaidant pour une délégation sans conditions alors que l’UE et ses Etats membres souhaitent des garanties de protection. Quant aux sociétés candidates, elles ont annoncé leur intention de ne pas prévoir de mécanisme de protection des AOC ou IDG.
Face à cette impossible résolution amiable du litige et en l’absence de mécanismes de recours adéquats au sein de l’Icann dénoncés par Axelle Lemaire, il ne reste plus que l’arme économique. Les organisations françaises et européennes de défense des indications d’origine (Cnaoc et Efow) ont déclaré qu’elles n’hésiteront pas à engager des poursuites contre ceux qui réserveraient sans droit des noms de domaine de type bordeaux.vin ou .wine et ont appelé au boycott des sites porteurs de ces extensions. L’Europe représente 65% du marché mondial.