EXTENSION DU DOMAINE DE LA LUTTE
Alors que les révélations sur la surveillance des communications par l’agence américaine, la NSA, continuent de faire la Une des journaux, le projet de loi de programmation militaire (LPM), que viennent d’examiner les députés, contient un certain nombre de dispositions sur le renseignement électronique en général, qui donnent des pouvoirs accrus aux ministères de la Défense, de l’Intérieur mais aussi de l’Economie et des Finances.
De façon très discrète, et sous couvert de rationalisation des procédures, un amendement du Sénat unifie le régime de l’accès administratif aux données de connexion, issu de la loi anti-terroriste de 2006, et celui des interceptions téléphoniques de la loi de 1991. Ce faisant, il introduit trois extensions majeures. La loi de 2006 avait autorisé, de manière provisoire, des personnes habilitées à exiger des opérateurs de télécommunications la transmission de données figurant sur les factures détaillées (les « fadettes »), les données de localisation d’un portable ou d’un ordinateur mais aussi les données de connexion internet. Cette transmission concernait uniquement les informations conservées par les prestataires. Le projet de loi autorise désormais l’accès en temps réel aux données de connexion, ou plus exactement aux données de géolocalisation d’une cible. Par ailleurs, en fusionnant le régime d’accès à ces données avec celui des écoutes téléphoniques, le champ des finalités possibles est étendu de la lutte anti-terrorisme à la sécurité nationale, la sauvegarde des éléments essentiels du potentiel scientifique et économique de la France, la prévention du terrorisme, de la criminalité et de la délinquance organisée. Cela augmente de manière conséquente les motifs de transmission qui ne seront pas effectués sous contrôle judiciaire, s’agissant d’un accès administratif. Enfin, le nombre des ministères destinataires de ces données a été étendu puisque désormais, en plus des agents du ministère de l’Intérieur, ceux de la Défense, de l’Economie et du Budget (pour les enquêtes douanières et celles sur les circuits financiers clandestins) pourront solliciter les prestataires techniques et les opérateurs. Même si des garanties sont prévues, un régime d’exception est en voie de s’appliquer à des cas de plus en plus courants. Un phénomène qu’on a observé notamment avec la création du fichier national des empreintes génétiques qui était au départ cantonné aux crimes sexuels.
Le projet de LPM crée par ailleurs un fichier des données de réservation de passagers (dit PNR), anticipant ainsi l’adoption de la future directive européenne. La France souhaite accélérer la mise en place d’un tel dispositif de suivi des personnes dans leurs déplacements aériens. Mais les finalités doivent encore être clarifiées. Le texte envisage aussi de rendre possible la consultation directe des fichiers d’antécédents judiciaires à certains agents habilités du ministère de la Défense.
Dans le contexte sensible de l’affaire Prism, la proposition de l’Asic (association des prestataires de l’internet), au ministère de la Justice « d’un audit complet du cadre juridique existant, de la manière dont ce cadre juridique est mis en œuvre par les autorités et sur l’étendue du respect des droits et des libertés individuelles » semble pertinente, si on ne veut pas nourrir la défiance à l’égard de l’internet et de ses acteurs.