L’algorithmisation de la vie est en marche. Et les pouvoirs publics n’échappent pas à cette tendance lourde. Pour preuve, le projet de loi relatif au renseignement prévoit la possibilité d’exiger des opérateurs « la mise en œuvre sur les informations et documents traités par leurs réseaux, à l’exception des correspondances, d’un dispositif destiné à détecter, sur la seule base de traitements automatisés d’éléments, la préparation d’actes de terrorisme ». En gros, il s’agit d’obliger les fournisseurs d’accès et autres hébergeurs à installer, à la demande du Premier ministre ou de personnes habilitées, sur leurs réseaux ou serveurs des espions algorithmiques qui conserveront pour une durée indéterminée les connexions et activités des internautes sur les sites identifiés et qui effectueront des croisements montrant que telle adresse IP visite tels sites suspects et fait des requêtes liées au terrorisme sur les moteurs de recherche. Comment le système va-t-il fonctionner ? Combien de personnes sont susceptibles d’être concernées ? On n’en saura jamais rien puisque les opérateurs n’auront pas le droit d’en parler.
Le recours à un tel dispositif « change la nature même du renseignement en plaçant l’algorithme au cœur de notre gouvernance », a déclaré Benoît Thieulin, président du CNNum. La Cnil qui ne remet pas en cause le principe de l’automaticité de la collecte et de l’analyse des données a néanmoins appelé l’attention du gouvernement sur le fait que « si le traitement autorisé de détection des signaux faibles par les opérateurs n’a vocation qu’à identifier un faisceau d’indices permettant de caractériser une menace terroriste, il n’en demeure pas moins qu’il porte sur des données indirectement ou directement identifiantes et non sur des éléments anonymes, comme le démontre d’ailleurs la possibilité de remonter l’identité d’une personne ».
Mais c’est surtout au sein de notre vie quotidienne que les algorithmes s’imposent, en toute discrétion, sans qu’on connaisse les règles de fonctionnement qui, subrepticement, nous influencent. Elles déterminent en effet l’internet que nous voyons sur les moteurs de recherche, les réseaux sociaux, les applications. Par exemple, les contenus qui défilent sur les murs des membres de Facebook sont déterminés par algorithme. De même que la publicité en ligne est orientée en fonction de notre profil enregistré, sur la base de nos données. L’intelligence artificielle permet déjà de déléguer certaines prises de décisions, comme le trading à haute fréquence en matière financière. Elle va bientôt nous conduire sans risque dans des smart cars. Les acteurs du numérique captent nos faits et gestes, les passent à la moulinette de traitements de plus en plus opaques, dont le pouvoir ne cesse de croître au détriment du pouvoir politique. Sans y avoir consenti formellement et sans en être vraiment conscients, nous déléguons peu à peu nos décisions à la technique.