Avec la multiplication des autorités administratives indépendantes et la diversité des pouvoirs de sanction qui leur sont attribués, la question de l’assurabilité des sanctions pécuniaires administratives est devenue primordiale pour les entreprises. Que ce soit à l’étranger ou en France, cette question représente un enjeu économique important. Les assurances restent frileuses à accorder cette garantie et ne le font pour l’instant qu’avec l’existence de garde-fous.
Dans le domaine du numérique, le règlement européen 2016 / 679 du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles (RGPD) sera applicable à partir du 25 mai 2018 dans tous les pays de l’Union européenne. Il prévoit un durcissement du régime juridique de la protection des données personnelles et, en particulier, le renforcement des sanctions (ou amendes) administratives pouvant aller jusqu’à 20 000 000 € ou 4% (article 83 du règlement) du chiffre d’affaires annuel monde de l’entreprise concernée.
Cette nouvelle donne juridique et la recrudescence des malveillances informatiques devraient permettre au marché des assurances des Cyber risques d’émerger (le rapport de PWC de janvier prévoit une croissance annuelle mondiale de 30%-40% pour atteindre 10 milliards de dollars de prime en 2020). Si les assurances des Cyber risques permettent de transférer aux assureurs les frais de gestion de crise, les risques de préjudice causé aux tiers et de pertes financières subies par l’assuré, certains risques demeurent plus ou moins bien couverts selon les contrats du marché.
Nous essaierons, à travers cet article, de porter un éclairage sur l’assurabilité des sanctions administratives
Le caractère quasi pénal de la sanction administrative
Comme toute convention, le contrat d’assurance doit respecter l’article 6 du code civil qui dispose : « On ne peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l’ordre public et les bonnes mœurs. » Lorsque, traditionnellement, on explique que l’assurance ne peut aller à l’encontre des sanctions pénales, c’est qu’en ce cas elle remettrait en cause la portée personnelle des sanctions pénales, lesquelles relèvent d’un ordre public incarné ici par les décisions du service public de la justice.
C’est notamment ce que pense Richard Gueldre, avocat, qui explique que « sur le plan technique les sanctions administratives sont vraisemblablement assurables. Sur le plan juridique, il existe des arguments pouvant être soutenus dans ce sens. La question se pose néanmoins de la nature juridique pénale ou quasi pénale de telles sanctions » . C’est un argument de taille contre l’assurabilité. En effet, les autorités administratives indépendantes se sont vues confier le pouvoir de définir des règles, d’en assurer le respect et d’en sanctionner les manquements. Les sanctions administratives ont un rôle répressif, car elles sanctionnent les manquements à des règles administratives. Leur finalité punitive se rapproche des sanctions pénales et par conséquent, comme celles-ci, elles ne devraient pas être assurables pour conserver leur caractère punitif. Mais aucune décision juridique n’a pour l’instant permis de confirmer si elles avaient un caractère pénal ou quasi pénal. Dans le domaine de la protection des données personnelles, la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés sur la formation de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) dans son article 45 I alinéa 1er dispose : « Dans le cas contraire, la formation restreinte peut prononcer à son encontre, après une procédure contradictoire, les sanctions suivantes : Une sanction pécuniaire, dans les conditions prévues par l’article 47, à l’exception des cas où le traitement est mis en œuvre par l’État » . La loi créant la Cnil ne précise pas si les sanctions administratives ont une nature pénale.
L’enjeu du caractère pénal ou quasi pénal des sanctions administratives est primordial. En effet, si elles sont soumises aux mêmes règles que les sanctions pénales, elles ne pourront pas être assurables. Les amendes prononcées par une juridiction pénale, ainsi que les frais qui y sont relatifs, ne sont jamais pris en charge par les assurances, car il existe une interdiction d’ordre public d’indemniser les dettes pénales. En effet, celles-ci sont personnelles et sont donc attachées à la personne condamnée qui ne peut que seule la payer. L’affaire Dieudonné montre bien une telle interdiction. Ce dernier avait fait appel aux dons pour payer ses amendes pénales ce qui est contraire à l’article 40 de la loi du 29 juillet 1881 qui dispose : « Il est interdit d’ouvrir ou d’annoncer publiquement des souscriptions ayant pour objet d’indemniser des amendes, frais et dommages-intérêts prononcés par des condamnations judiciaires, en matière criminelle et correctionnelle, sous peine de six mois d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende, ou de l’une de ces deux peines seulement. » . Maître Bitton, interrogé par le magazine Le Point sur cette affaire, répondait : « Une amende pénale est une sanction personnelle. En cherchant à la faire assumer par autrui, Dieudonné contrevient à la loi » . C’est pour cela qu’en matière pénale, seuls les frais de défense et de recours peuvent être indemnisés par les assurances. Par conséquent, si les sanctions administratives ont un caractère pénal elles ne pourront pas être indemnisées par les assurances.
La position prise par l’ACPR (Autorité de contrôle prudentiel et de résolution) sur la question de l’assurabilité des sanctions pécuniaires administratives est une application extensive de ce principe. En effet, même si sa position n’est pas officialisée, elle a expliqué au journal l’AGEFI Actifs dans un article de 2012 que « la prise en charge par un assureur de toute sanction pécuniaire prononcée par une autorité administrative, au même titre que les amendes fiscales, pénales et douanières, est contraire à l’ordre public ».
Mais cette position nous semble faire un amalgame trop rapide entre les sanctions pénales, les sanctions certainement quasi pénales (comme les amendes fiscales ou douanières) et les sanctions administratives.